Peindre c’est penser, être là, au monde.

Le  « il y a » c’est la présence à l’être, l’immanence de la présence.

Présence du corps et présence du tableau : Il faut pouvoir saisir cette immanence dans son insaisissabilité, son instabilité, suggérer le lieu de son existence dans une structure orientée du champ perceptif, un haut et un bas, un premier plan et un arrière-plan, dans une certaine prise de mon corps sur le monde, une assurance et une aisance de mon corps dans le monde, le fait que je l’habite et que je suis capable de me tenir et d’agir en lui. C’est la recherche permanente d’un langage propre et universel à la fois.

Le monde est pluridimensionnel ; qui veut en donner une représentation plane doit subir la contrainte et de le réduire aux deux dimensions de la surface, ce qui suppose un travail de transposition picturale.

Matérialiser, concrétiser peut se relier à l’appréhension d’une idée de la totalité et rejoindre en cela le vide primordial. En peinture, le vide entre les signes a la même importance que le signe lui-même car c’est lui qui met en relation les formes dans l’espace pictural, repli de la présence, respiration, silence nécessaire : C’est le petit pan de mur jaune de « La vue de Delft » deVermeer qui fascinait Marcel Proust.

Ne pas se rendre compte que l’on peint quand on peint, peindre comme on vit, comme on pense, moyen d’être avec soi.

C’est le corps qui donne sens et ouvre l’accès à la pratique pour faire naître des significations nouvelles, issues autant de sa mobilité que de ses perceptions. Les rapports entre les éléments peints dont la matrice principale est le fond activent et guident les emplacements et la nature des formes. Pour moi, ce sont souvent des amorces de personnages, sortes de calligraphies schématiques inscrites dans une structure rigoureusement organisée. Mémoire collective du fond des temps, origines de l’humanité et aussi biographie personnelle, ces signes occupent des « lieux-espaces » et forment une scénographie dans laquelle s’articulent forme et fond. Ils sont une ligne directrice importante du travail pictural. Densité, saturation, vibration, ils sont mis « en intrigue », se composent d’intentions, de causalités, de hasards. Ils figurent la représentation de l’action, la présence, l’ « être là ». Les surfaces planes escamotent ou obstruent la violence des conflits, le prix des choix, les achèvements impossibles, la butée, la perte, l’émergence des intensités, tout ce que l’être entier ressent et tout ce qu’il abandonne. Les distinctions dans l’espace renvoient aux mêmes distinctions dans le temps et constituent le climat du clair et de l’obscur, organisent les correspondances spatio temporelles des plans et des teintes.

Parmi les problématiques du courant post-moderne, particulièrement dans son rapport au temps, je décline des œuvres élaborées à partir de fragments d’images, de réminiscences de sensations, de narrations incomplètes. L’expérience vaut tout d’abord pour elle-même, comme dans un monde clos : elle se soucie avant tout de sa propre existence. C’est seulement après que s’instaure une nouvelle relation avec l’autre «soi-même», le regardeur, convoqué en son fort intérieur à la fulgurance de l’immanence de l’être et peut-être en même temps à son illusion.